interview Frédéric Ovadia, analyse du marché de l'édition en 2022

Frédéric Ovadia, éditeur indépendant et innovant (2/3)

Une analyse du marché de l'édition en 2022

Pour inaugurer le lancement de la collection Nouvelles Pensées Entrepreneuriales – créée par Optim’ease, en partenariat avec Les éditions Ovadia – Frédéric Ovadia, éditeur indépendant et innovant, a accepté de répondre à notre interview.

Dans ce deuxième volet, il porte un regard et fait une analyse critique du marché de l’édition en France.

Delphine Kieffer : Quel regard portez-vous sur le marché de l’édition en France ?

Frédéric Ovadia : Avec environ 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, le marché de l’édition se porte bien et continue de progresser.

Jusque vers le milieu des années 1990, les 15% de grands lecteurs (ceux qui lisent 3 à 5 livres par semaine) assuraient le commerce des librairies. Depuis, la donne a changé. Il y a moins de grands lecteurs, mais plus de gens qui lisent.

Toutefois, « acheter » ne veut pas dire « lire ». Sur les 250.000 ventes d’un Goncourt, il n’y en a peut-être que 25.000 qui le lisent !

Si la dynamique économique a détruit certains secteurs de l’édition, elle en a en revanche impulsé d’autres, plus vulgarisateurs, plus allégés, mais offrant une plus grande diversité, ce qui est aussi une bonne chose, car tout est bon dans la lecture. Que ce soit la BD ou Marc Lévi, il faut laisser chacun lire ce qu’il a envie de lire.

D.K. : Selon vous, quelles sont les principales problématiques du secteur de l’édition ?

Frédéric Ovadia : La grande problématique du secteur de l’édition est la visibilité. Pourquoi ? Parce qu’en 30 ans, le nombre de nouveautés a explosé (80.000 nouveautés en 2022, contre 32.000 en 2006). Cette production accélérée est due au merchandising et au marketing d’une part, et à la révolution technologique qui facilite la production de livres d’autre part.

L’association de grands groupes et leur pratique du monopole, brouillent la lisibilité de l’édition, que ce soit dans les médias, en librairie et même sur le net. Il faut trouver de nouveaux modèles économiques.

D.K. : Comment réagissez-vous en voyant les maisons d’édition disparaître ou se faire racheter par un grand distributeur ?

Frédéric Ovadia : 

« La majorité des éditeurs n’a pas vu venir la révolution numérique et l’opportunité de changer son modèle économique. »

Les uns s’intéressent à l’écrit, les autres à l’aspect économique du livre. Or, l’édition se trouve à la frontière des deux. L’édition requiert des compétences techniques et professionnelles dans six grands domaines. Il ne suffit donc pas d’avoir la capacité à trouver la perle rare, (c’est d’ailleurs impossible), il faut aussi connaître les procédés d’impression, savoir faire un business plan, être en mesure de choisir le papier, connaître le fonctionnement d’une librairie, etc. Et bien souvent, l’éditeur ne connaît qu’un ou deux domaines. Il faut aussi savoir prendre des risques.

Quand on voit les maisons d’édition disparaître et se faire racheter, cela montre qu’elles n’ont pas vu ou pas su s’adapter.

D.K. : Comment voyez-vous l’avenir pour les éditeurs indépendants ou les petites maisons d’édition ?

Frédéric Ovadia : Je trouve que les éditeurs indépendants sont trop individualistes. Une sorte de culture narcissique s’est établie autour de l’éditeur depuis des siècles. D’ailleurs, l’éditeur est souvent associé à une personne et non à une maison d’édition.

Le plus grand danger des éditeurs, s’ils n’apprennent pas à travailler ensemble, c’est eux-mêmes. Leur avenir dépendra de leur capacité à gérer leur maison d’édition en mettant en œuvre une stratégie d’entreprise, en développant la mutualisation et le partenariat, et en mettant en commun leurs moyens de diffusion et de distribution, à la manière d’une coopérative par exemple.

D.K. : Quelle est la place des éditeurs indépendants et quel rôle ont-ils à jouer dans la société ?

Frédéric Ovadia : Ils font un travail de niche plus ciblé et plus affiné dans leurs domaines respectifs.

« S’ils ont les moyens de se rendre visibles, les éditeurs indépendants permettent de faire émerger des réflexions ou des connaissances qui peuvent avoir une influence très importante sur la société. »

Leur rôle est donc fondamental.

Les éditeurs indépendants d’envergure régionale ont une force culturelle très importante en faisant la promotion de leur ville ou de leur territoire. Les salons du livre ou l’Agence Régionale du Livre (ARN) sont déjà de bonnes initiatives.

D.K. : Quelle est votre vision pour les 10 prochaines années concernant Les éditions Ovadia ?

Frédéric Ovadia : Dans les dix ans à venir, nous utiliserons d’autres vecteurs de transmission que le papier. Le livre imprimé sera toujours présent, mais viendra en support à toute une activité éditoriale annexe, plus riche et plus complète, telle que la vidéo, les visioconférences, la formation ou même la musique. Je vois également une réorganisation complète des produits de l’édition.

D.K. : Selon vous, quels sont les principaux enjeux du digital pour un éditeur indépendant ?

Frédéric Ovadia : Le numérique révolutionne toutes les étapes de la production en y apportant de la fluidité, notamment dans la mise en page et dans l’impression… Il va ainsi permettre de produire plus vite et mieux.

Mais la communication nécessitera un travail plus conséquent :  réseaux sociaux, sites internet (il faut pratiquement en créer un pour chaque livre), webinaires… Cela nécessite beaucoup de travail.

Le numérique va influencer la manière dont on présente le produit (animation à la vente, publicité…) en lui donnant une forte valeur économique.

« Le numérique va alléger certains secteurs
et en complexifier d’autres. »

Dans tous les cas, il doit permettre de mieux servir l’auteur et le lecteur.

D.K. : L’Intelligence Artificielle est-elle déjà entrée dans la sphère de l’édition, et que peut-elle apporter ?

Frédéric Ovadia : Oui, de plus en plus, et notamment dans un domaine très intéressant : l’analyse des manuscrits. On peut définir des critères, qui donneront des indicateurs de réussite, par exemple.

Les technologies de l’IA vont permettre de tout fluidifier, que ce soit la production ou l’analyse marketing reliée aux ventes et aux vecteurs de communication.

Elle aura aussi une influence sur l’écriture en permettant d’écrire en temps réel, comme les séries de télévision où le scénario évolue en fonction de l’actualité.

« Tout ce qui relève des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle dans l’édition ne pourra être que bénéfique. »

En outre, la rencontre émotionnelle entre un auteur, un livre et un lecteur, ne changera jamais, que l’auteur soit présent ou non. Car elle est reliée aux histoires de chacun.

L’interview complète

Frédéric Ovadia, éditeur indépendant et innovant

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Sites web
Les éditions Ovadia
Pragma Concept : pour commander les livres en ligne.
André Giordan

Notes
[1] Source : rtbf.be, 27/01/2022

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