Didier Ait et Philippe Carpentier

Agir pour préparer l’entreprise à l’ère de l’intelligence artificielle : la démarche du dirigeant pour construire sa vision à long terme

Pour préparer les entreprises à l’ère de l’IA, Didier Aït invite les dirigeants à repenser leurs organisations en construisant une vision à long terme. Philippe Carpentier préconise quant à lui d’intégrer raison, émotion et intuition pour « décider juste » et propose d’aborder l’incertitude avec confiance et détermination, pour faire face aux défis du quotidien. Les deux auteurs ont apporté leurs regards croisés lors de la conférence du C2IME qui s’est tenue à Metz le 18 avril 2023.

Didier Aït : Pour débuter notre réflexion, je propose de revenir quelques instants sur notre monde devenu volatile, incertain, complexe et ambigu, selon la grille de lecture VUCA :

VUCA 1

Philippe, face à l’inflation des nouvelles technologies (Intelligence Artificielle, Blockchain, Contrats intelligents, Quantique, Web 3.0… ), penses-tu que l’époque des certitudes est révolue pour un dirigeant, et que décider dans ce nouvel environnement est devenu complexe ?

Philippe Carpentier : Le monde VUCA va de plus en plus vite. Il devient difficile de décider. Décider pour un dirigeant, c’était déjà il y a 30 ans se placer dans un océan d’incertitudes. Et aujourd’hui l’incertitude est partout, tout le temps, ce qui génère du stress. A force d’être confrontés à des situations d’incertitudes, les dirigeants s’arment de mieux en mieux. On appréhende et on apprivoise l’incertitude. Les startups ont inventé la notion de « pivoter ». On peut réussir, même si les décisions ne sont pas parfaites, car il y a presque toujours une deuxième décision qui va venir rectifier la précédente. On est dans une approche effectuale.

Et toi Didier, quelles sont les clés pour aborder ce monde VUCA ?

D.A. : Pour les entrepreneurs et dirigeants, vivre dans le monde VUCA, c’est savoir s’adapter et composer avec un monde en accélération où la volatilité et l’incertitude sont devenues la norme. Avec des consommateurs de plus en plus volatils, il ne faut que quelques semaines pour qu’un marché naissant et prometteur soit déstabilisé. Dans le domaine du digital, les innovations se succèdent à un rythme exponentiel. La multiplication des outils de communication en temps réel (smartphones, tablettes, montres connectées…) nous oblige à réagir dans l’immédiateté. Ce travail en temps réel réduit de façon drastique notre temps de réflexion et notre performance, et complique la qualité de nos relations aux autres.

J’aimerais Philippe revenir à ton livre concernant le chapitre intitulé « Préparer vos cerveaux à décider en confiance ». Cela implique-t-il pour le dirigeant de savoir faire une pause sur image et prendre le temps de s’éduquer à la décision ?

P.C. : La notion de confiance est importante. Faire une pause sur image, prendre du recul, m’évoque la préparation mentale. Lorsqu’un dirigeant a une vision claire de ce qu’il veut réaliser, il se passe des choses très positives. Les blocages internes disparaissent. Dirigeants et accompagnants de dirigeants sont dans le même univers. La confiance amène à la réussite, enclenche les bonnes attitudes, les bons comportements. Dans les moments compliqués, on peut vite se retrouver inhibé par les peurs. Dans ces moments-là, il est important de travailler et de développer la confiance chez ses collaborateurs, et d’avoir un réseau qui, de façon bienveillante, aide à retrouver cette confiance.

Il est souvent difficile de s’extraire des 99 % du quotidien. Comment fais-tu Didier pour que les dirigeants sortent du quotidien ?

D.A. : Le temps est une ressource de plus en plus rare, et paradoxalement, c’est en prenant le temps de la réflexion, et non en se faisant broyer par l’immédiateté, que l’on parvient à gagner du temps. C’est ainsi que j’en suis venu à proposer aux dirigeants de mettre en face de la grille de lecture VUCA(1), un plan d’action appelé VUCA(2) pour Vision, Compréhension, Clarté, Agilité. Le dirigeant est amené à réfléchir et à construire la vision de son entreprise sur le long terme. Cette vision est essentielle, car elle permet de définir le cap et de passer les crises à répétition. Les équipes ont besoin d’être rassurées, de savoir où elles vont, de remplir une mission qui a du sens, et de sentir qu’il y a un capitaine à bord.
Décider pour un chef d’entreprise, c’est créer en amont de sa décision des interconnexions entre la vie de l’entreprise, sa culture, ses valeurs, son savoir-faire, le sens de sa mission, son expérience personnelle et professionnelle, et maintenant c’est intégrer de nouvelles connexions liées aux IA, afin de mettre en mouvement les hommes et les organisations.

Philippe, que veut dire pour toi « décider juste » ?

P.C. : Décider juste ou juste décider. Décider juste, il faut l’entendre en terme de justesse plus que de justice. Au moment de prendre une décision, il y a des milliards de connexions qui s’opèrent, que même le meilleur des tableaux Excel ou ChatGPT ne peuvent maîtriser. Quand on est dans un chaos émotionnel, un environnement bienveillant permet de recadrer une décision qui paraissait brumeuse. Décider juste, c’est lorsque je sens que ma décision sera bonne pour moi et mon entourage. Il y a un moment où je sais que ma décision est juste, malgré l’incertitude et l’impossibilité de prédire l’avenir. Au-delà de l’incertitude, il y a aussi l’environnement avec des logiques systémiques qui se reproduisent.

Didier, peux-tu nous éclairer sur cette dimension systémique de la décision ? Comment tirer parti du système plutôt que le subir ?

D.A. : La métamorphose de notre société est systémique : c’est tout notre univers relationnel qui se transforme, nos moyens d’information, nos modes d’apprentissages, nos usages du quotidien et in fine notre rapport à la réalité. L’approche systémique étudie un ensemble en mouvement pour rendre compte de sa complexité, alors que le raisonnement analytique découpe cet ensemble en différentes parties et en étudie chaque élément. Cette approche permet de comprendre comment les nouvelles technologies peuvent être utilisées de manière efficace et responsable, et comment elles peuvent être intégrées dans notre société de manière à en tirer le maximum de bénéfices. L’entreprise est devenue un système complexe qui interagit avec d’autres systèmes. Son système d’information même va également devenir complexe.

Philippe, prendre des décisions stratégiques pertinentes repose sur un principe de précaution, qui est de prendre soin de sa personne et de son entourage. Es-tu d’accord avec ce principe de précaution ?

P.C. : Les décisions importantes doivent être prises quand on est serein. On ne peut pas décider quand on est stressé, fatigué. Le stress peut durer quelques temps et amener à prendre des décisions inconsidérées. Il faut en avoir conscience. Quand on a peur, peur de ne pas trouver des clients par exemple (bien qu’un dirigeant n’ait peur de rien dans l’imaginaire), on a tendance à être indécis, on rayonne moins envers les autres. Identifier les éléments de décision avant l’action, c’est positif. Qu’est-ce qui nous ressource vraiment ? A-t-on positionné ces moments-là dans notre agenda ? Aujourd’hui, avec les multiples sollicitations dont il fait l’objet, comment le dirigeant peut-il sortir de son quotidien pour prendre le temps de la réflexion ? Comment ne pas céder aux méthodes qui promettent de régler un problème rapidement ?

Didier, quand tu parles de vision sur le long terme, comment motiver le chef d’entreprise à entreprendre une telle démarche face aux sollicitations et à toutes les recettes miracles qui lui sont proposées ?

D.A. : L’IA est une chance pour toutes les entreprises ayant une vision sur le long terme et une stratégie globale adaptée aux changements permanents. A contrario, sans vision ni stratégie, l’IA risque de prendre le contrôle de l’entreprise en façonnant ses objectifs. Il faut prendre le temps de réfléchir pour ne pas faire le jeu d’une stratégie unique, celle des GAFAM, qui nous entraîne dans la dictature de l’immédiateté. Au vu des conséquences sur le monde et l’environnement, notre système est remis en cause et nous amène à réfléchir sur ce que nous ferons demain. D’où la nécessité pour le chef d’entreprise de rentrer dans une démarche d’analyse et de prospective. Il est urgent de se réinventer, non en s’appuyant sur nos expertises puisque l’IA le fera mille fois mieux que nous, mais en faisant appel à notre humanité et notre personnalité. Aussi, nous aurons besoin de managers « compatibles IA » capables d’acculturer leurs équipes à l’IA, et de mettre en place de nouveaux outils d’analyse de performance tout en prenant soin d’accompagner leurs équipes au quotidien.

Les temps forts
du C2IME

Accélérateur de projets industriels en développement et en croissance dans le bassin lorrain, le C2IME invite régulièrement des conférenciers lors de ses comités de suivi et d’évaluation.

Les conférenciers

Philippe CARPENTIER
accompagne les dirigeants et les entreprises dans le management positif. 

Il est co-auteur avec Aurélie Perez du livre « Un coup d’avance : soyez acteur de votre vie ! » (éditions Librinova, 2020).

Il anime le blog 16h44.com.

Didier AÏT
accompagne les dirigeants dans la transformation digitale et la conduite du changement de leur organisation.

Il est l’auteur de deux ouvrages :

« Repenser les organisations à l’ère de l’intelligence artificielle : quel avenir pour nos PME-PMI ? » (Les Editions Ovadia, 2023),

« Intelligence artificielle : ce qui va changer dans nos vies professionnelles » (Les Editions Ovadia, 2019).

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Ethique & Digital

L’automatisation du digital n’est qu’un moyen technique et non une fin en soi. Si le progrès technologique représente une opportunité pour les entreprises, la transformation numérique ne doit cependant pas se faire au détriment des personnes.

« La vitesse imposée par le numérique aujourd’hui inhibe une grande partie de notre réflexion et donne bien plus de poids à la masse statistique qu’à l’introspection. »

Cette citation extraite du livre de Yannick Meneceur, dans son ouvrage L’intelligence artificielle en procès (éd. Bruylant, 2020), nous a encouragé à créer un groupe de réflexion sur l’Ethique et le Digital.

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