Manager avec gentillesse

Manager avec gentillesse et optimiser les profits : l’équation est-elle possible ?

Dans le monde de l’entreprise et des affaires, la gentillesse est souvent perçue comme une faiblesse ou un manque d’autorité, et donc non compatible avec les méthodes de management qui cherchent avant tout le profit et la rentabilité. Pourtant, certains dirigeants ont choisi avec intelligence de manager avec gentillesse, selon une approche humaniste.

Le « manager gentil » : un humaniste au leadership naturel

Si le manager devenait gentilhomme, il ne partirait pas en quête d’un parchemin. Il serait caractérisé par sa noblesse et sa capacité à créer de la sociabilité à travers la production de richesses. Il changerait l’ordre des choses en plaçant la gentillesse « sincère » comme une vraie forme d’intelligence, et construirait ainsi des méthodes de management plus humaines.

La définition de l’entreprise au XVIIème siècle, c’est la guerre et l’amour, en d’autres termes, c’est une aventure. De même aujourd’hui, aller au travail le matin, c’est avant tout participer et vivre une aventure, et non pas une vie par procuration où l’on se cache derrière des règles, des process, des robots, de l’intelligence artificielle ou du Lean management.

Rappelons que les peuples latins travaillent dans l’humeur – la mauvaise ou la bonne. Pour eux, l’affection est synonyme de créativité et permet de tisser des liens d’humanité, à l’inverse du management anglo-saxon qui souvent aseptise les relations.

Alors quel serait le profil du « manager gentil » au XXIème siècle ?

– Le « manager gentil » est un architecte des systèmes sociaux, capable de favoriser l’éclosion de nouvelles dynamiques d’innovation et de collaboration entre les individus.

– Il est primordial pour lui d’exercer son leadership naturel.

– Humaniste managérial, il manage par la confiance et non par la peur. Sa valeur cardinale étant « l’Homme comme valeur suprême ».

– Concrètement, il va gérer ses équipes en encourageant la prise d’initiatives venant de la base, ainsi que les expérimentations locales (ateliers).

Ce mode de management intègre par conséquent une forme de démocratisation dans l’entreprise en offrant aux salariés un espace de liberté et d’initiative personnelle.

Entre liberté et obéissance : le paradoxe du management contemporain

Le système de management contemporain demande aux salariés d’agir spontanément, et dans le même temps, il exige d’apporter des résultats en se conformant aux règles et aux process de l’entreprise. De fait, cette liberté concédée vient en contradiction avec le contrat de travail qui instaure un rapport d’obéissance.  

Dans l’esprit des salariés, imprégnés de la culture de l’entrepreneuriat à l’américaine, le contrat de travail définit une situation où l’on doit rendre des comptes sans avoir la possibilité de la modifier ou d’agir correctement. Ce qui engendre des frustrations, de la démotivation et de la crainte de retombées négatives.

Les systèmes managériaux doivent donc donner plus de capacités d’actions aux salariés, car fixer des objectifs implique la possibilité pour chacun de faire entendre sa voix, sans prendre de risques, quel que soit son rang hiérarchique.

Pour le manager, réussir à résoudre cette équation est difficile, car elle vient s’ajouter à une autre contrainte, elle aussi contradictoire : celle de faire preuve de souplesse dans un univers bâti sur des procédures.

Le constat est que le dirigeant risque d’en perdre son latin et de voir décroître la motivation de ses collaborateurs, délités de leur ancrage culturel.

Comment permettre aux salariés d’agir dans l’entreprise ?

Dans les sociétés qui imposent des règles et des process de plus en plus marqués, et où la concurrence interne et externe est de plus en plus forte, il est possible de contrecarrer cette « démobilisation » en réhabilitant la gentillesse. Au-delà de l’aspect managérial, la gentillesse est une qualité humaine, son antonyme étant la méchanceté. Elle est aussi une source d’anoblissement pour l’homme qui, en créant des relations sociales positives, favorise la compréhension, l’acceptation de l’autre et l’engagement d’actions communes.

L’objectif du management par la gentillesse est de trouver un équilibre social. Et pour y parvenir, l’entreprise doit sortir des schémas de décision du capitalisme sauvage, dans lesquels la création de valeurs est dédiée pour une trop grande partie aux actionnaires, au détriment d’une juste répartition de cette valeur financière à l’ensemble de l’entreprise. Aujourd’hui, les schémas de décisions du capitalisme sauvage sont le résultat de transactions opaques, réalisées en coulisse, ou issues d’un héritage historique. La maximalisation du profit y est le seul objectif, ceci afin d’optimiser uniquement le retour sur investissement des actionnaires, entraînant une dégénérescence des actions de prospectives de l’entreprise, en termes d’innovation, de recherche & développement et de sociabilisation.

D’un point de vue éthique, la finalité d’une entreprise est de faire vivre et de servir une communauté de salariés et non pas uniquement une communauté d’actionnaires. Or, la seule issue pour améliorer cette répartition des richesses, passe par des schémas de décisions vertueux, lesquels sont générés par les réflexions mûries de l’ensemble des acteurs de l’entreprise. Cette démarche vise à améliorer les process et à favoriser l’innovation par la R&D, ce qui induit naturellement la pérennité des emplois et leurs développements.

L’entreprise est certes un lieu où l’on peut créer de la sociabilité, mais c’est avant tout une organisation dédiée à la production et au profit.

Quel intérêt auront les managers à devenir humanistes, si cela ne favorise pas le profit ?

Une entreprise dans laquelle règne la mauvaise ambiance se pénalise sur le plan économique, car elle risque de générer des pathologies chez les salariés (comme le burnout), et d’entraîner une démobilisation des équipes.

L’entreprise peut devenir une réelle matrice de sociabilité, en produisant de la richesse et en cultivant son humanisme.

Mais attention, ne rêvons pas ! Il ne suffit pas de modifier la forme des schémas de décision. Il faut aussi que le manager, gentil et humaniste, s’implique et accepte de se soumettre à une exigence critique et lucide. Car il existe bien un conflit entre économie et humanisme. L’économie mondiale contemporaine se présente comme un ensemble de sous-systèmes inégaux et de relations entre des institutions dominantes et dominées, elle est fondée sur des rapports de forces. Alors quel intérêt auront les managers à devenir humanistes, si cela ne favorise pas le profit ?

Pour répondre à cette question, nous devons faire un focus sur la primauté de l’économie et du capitalisme sauvage, qui par excès de cynisme, nous fait courir le risque d’un monde déshumanisé et inégalitaire, dominé par des actions lucratives. Nous savons de quel côté penche l’histoire contemporaine : le projet d’entreprise considéré sous un angle économique est qualifié de réaliste, tandis que l’approche philosophique est qualifiée d’utopique. Pourtant, la théorie la plus pertinente paraît s’orienter vers un « humanisme pratique », c’est-à-dire soutenu par une logique d’actions. L’enjeu est à la hauteur des difficultés, compte tenu de l’importance considérable du champ économique dans nos sociétés contemporaines !

Aujourd’hui, cette approche rentre encore en contradiction avec les réalités et les logiques des marchés, qui sont pour l’instant conçues uniquement comme des luttes ou des guerres économiques.

Avec la crise du covid 19 et les changements que connaît notre société, la scission entre ceux qui managent et ceux qui sont dirigés est de plus en plus grande. Le télétravail, indispensable aujourd’hui pour la survie de notre économie, instaure une distanciation physique entre les managers et leurs équipes. Et c’est bien aux managers de s’adapter pour préserver des liens de confiance et ne pas rompre l’équilibre fragile qui lie les managers et leurs équipes.

Le « manager gentil » sera donc cette personne capable de tisser de la relation humaine, en instaurant la gentillesse au sein de l’entreprise, sans perdre de vue les objectifs de profits et de rentabilité. C’est cette modernité de conscience, qui permettra de créer de la richesse et de la sociabilité pour pérenniser notre Société et nos entreprises.

Pour aller plus loin

Ouvrage
Eloge de la gentillesse. Emmanuel Jaffelin, éd. Pocket, 2016.

Sciences Humaines
La bienveillance en entreprise : mythes et réalité. Jean-François Dortier, in Sciences Humaines n°276, déc. 2015. Lire.

France Culture
Actualité philosophique : La philosophie de l’entreprise, par Adèle Van Reeth, Luca Paltrinieri et Emmanuel Jaffelin. Emission diffusée le 13 juin 2014. Ecouter.

Wikipédia
Capitalisme sauvage. Lire

Participer au groupe de réflexion

Ethique & Digital

L’automatisation du digital n’est qu’un moyen technique et non une fin en soi. Si le progrès technologique représente une opportunité pour les entreprises, la transformation numérique ne doit cependant pas se faire au détriment des personnes.

« La vitesse imposée par le numérique aujourd’hui inhibe une grande partie de notre réflexion et donne bien plus de poids à la masse statistique qu’à l’introspection. »

Cette citation extraite du livre de Yannick Meneceur, dans son ouvrage L’intelligence artificielle en procès (éd. Bruylant, 2020), nous a encouragé à créer un groupe de réflexion sur l’Ethique et le Digital.

Pour participer au groupe de réflexion sur l’Ethique et le Digital, nous vous invitons à vous préinscrire ci-dessous.

2 Commentaires
  • ZAMPIERI
    Publié à 07:32h, 03 février

    Chef d’une petite TPE de 4 personnes, la bonne ambiance générale et le management positif sont essentiels pour atteindre nos objectifs de développement. Si vous n’êtes pas aimable avec vos employés, ils ne seront pas motivés. S’ils ne sont pas motivés, ils ne vous suivront pas. La peur et l’oppression ne sont plus des stimulants aujourd’hui. A mon sens, manager avec gentillesse, c’est donner à vos employés le feed-back dont ils ont besoin pour progresser et leur énoncer en toute honnêteté les objectifs a atteindre et défis à relever.

  • Kerrello Lionel
    Publié à 15:31h, 03 février

    Cet article est vraiment excellent !
    Je suis certain que le management « gentil » est un plus car sans cela, il n’y a que méfiance et pourquoi travailler pour quelqu’un qui ne vous respecte pas vraiment…
    Personnellement, je pense juste qu’il manque la notion de confiance…
    Si on montre à son collaborateur que l’on a confiance en lui, cela peut lui faire pousser des ailes : ainsi, il se sent libre d’innover ou de proposer de nouvelles actions à mener au sein de la société sans craintes.
    En cette période tendue où le télétravail règne, je pense que c’est un atout.